Au terme de son étude sociologique pionnière sur les Noirs de Philadelphie, W. E. B. Du Bois faisait le constat suivant à propos du racisme : « Tout le monde en parle, tout le monde sait qu’il existe, mais quant à savoir sous quelle forme il se manifeste ou à quel point il est influent, peu sont d’accord. »
Un siècle plus tard, le racisme fait toujours partie de notre quotidien. Il demeure même une des notions les plus discutées dans l’espace public, ainsi que celle autour de laquelle règne le plus grand fou. Si vous comptiez sur la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 pour le dissiper, c’est raté. On peut même dire qu’elle a ajouté la confusion à l’injure.
Celle de voir toutes les forces de droite et d’extrême-droite recevoir à peu de frais un brevet d’antiracisme. « Je ne suis pas raciste, j’étais à la marche du 12 novembre contrairement à vous. C’est vous les racistes », ne manqueront pas d’asséner celles et ceux qui font pourtant de la chasse aux étrangers le produit d’appel de leurs boutiques politiques et médiatiques.
Le grand moment d’unité nationale contre l’antisémitisme a réuni les propagateurs de l’islamophobie militante et celles et ceux qui s’en accommodent. Racisme chaud et racisme froid. Il suffisait de tendre un micro aux manifestants et responsables politiques présents pour s’en convaincre. Quand ils se sont prêtés au jeu de l’interview, peu ont parlé d’antisémitisme. Il a surtout été question de Mélenchon, d’Israël, des musulmans. En droite ligne du texte d’appel de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Et de son esprit.
Les deux initiateurs avaient annoncé la couleur. C’est une marche en soutien à Israël et contre les musulmans. Ont défilé – principalement – les soutiens à Israël et les islamophobes. Pour une fois, il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise. Et tous les acronymes factieux étaient de sortie, du GUD à la LDJ. Le RN et Reconquête sont arrivés sous les applaudissements. Une convention des extrêmes-droites parrainée par CNEWS et le JDD ? Mieux. Une marche républicaine contre l’antisémitisme à l’appel des présidents du Sénat et de l’Assemblée.
Les historiens se demanderont incrédules ce qu’il s’est passé en France pour qu’un tel renversement de sens soit possible. Il leur faudra regarder du côté des objectifs de la marche. Pour le coup très politiques : marginaliser la gauche, invisibiliser le carnage en cours à Gaza, et consolider l’alliance des droites.
Le racisme dans tout cela ? Il sort grand vainqueur de la séquence. En ne se focalisant que sur un seul, la marche les a tous renforcés. D’abord l’antisémitisme, érigé en forme suprême de racisme. En entretenant, en outre, la confusion entre la lutte contre l’antisémitisme et le soutien au régime colonial israélien, la marche a rendu un bien mauvais service aux Juives et Juifs de France. Quant à l’islamophobie, elle devient tout bonnement synonyme d’arc républicain.
Le racisme, c’est la résistance.
La colonisation, c’est la démocratie.
La guerre, c’est la paix.
Quelle époque !